Philippe Bordas(Écrivain et photographe)
25 mai 2023
JEAN-LOUIS MURAT, 1993. Comme il détestait les séances photo et adorait les champions cyclistes, la maison de disques Virgin m'avait contacté en catastrophe pour réaliser la pochette de son prochain album. Jean-Louis Murat avait refusé tous les photographes. Comme j'étais le seul portraitiste féru des héros du vélo, j'avais été missionné pour réaliser des portraits et la pochette du prochain disque ("Vénus"). J'avais emmené le chanteur dans le village de mes grands-parents, à Salon-la-tour, en Corrèze. J'avais installé éclairage et trépied dans le garage bordélique de Bernard Leyssenne. Pour l'amadouer, je lui apportais des cafés et L'Équipe du matin. Aucun émissaire de Virgin, aucune maquilleuse : Murat était content et se laissait photographier, sans se départir jamais d'une moue qui hésitait entre le chien battu et le crooner dépressif. Ma grand-mère Marguerite Decoux nous avait cuit au four un énorme poulet et des pommes de terre, et nous avions pique-niqué sur les berges herbeuses du lac de la Grénerie où je me baignais durant mon enfance. J'étais assez content des images. Mais à Paris, Murat avait protesté, dans Libération, contre sa gueule de croque-mort (celle que je lui avais faite...) et préféré mettre sur la pochette de l'album une photo d'orchidée, prise dans un catalogue d'herboristerie. Sur la photo dite de croque-mort, il avait quarante ans et semblait le sosie d'Arthur Rimbaud. Il tenait un bâton de noisetier, celui que mon grand-père Georges utilisait pour aller chercher des champignons.
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